En Chine, les opérations de restructuring, voire de liquidation d’entreprises, présentent des caractéristiques locales spécifiques. Comprendre les enjeux et les meilleures pratiques d’un tel process est essentiel pour limiter les pertes financières, l’impact social et préserver la sécurité juridique des parties prenantes, dont celle du dirigeant.
C’est ce dont nous allons traiter dans ce dossier.
Procédure de liquidation judiciaire: quelles différences entre la France et la Chine ?
Rappelons quelques fondamentaux de la liquidation et les différences de fonctionnement qu’il existe entre la France et la Chine. La liquidation constitue la dernière étape du processus de cessation d’activité pour une entreprise, qui enclenche la réalisation des actifs en vue de rembourser les créanciers. Pour parvenir à cette étape, les procédures diffèrent d’un pays à l’autre.
Le cas français
Le cas de la liquidation (ou cessation) volontaire est le plus simple. Le dirigeant d’une société dont l’actif est supérieur au passif, peut demander sa liquidation. Cette procédure n’est possible que si la société n’est pas en état de cessation des paiements.
Lorsqu’une société est en difficulté atteint le point de non-retour de la cessation de paiement, son dirigeant doit alors déclarer cette situation auprès du tribunal de commerce. Une décision du tribunal prononce alors l’ouverture d’un redressement judiciaire, voire la liquidation judiciaire de l’entreprise si la situation de cette dernière est jugée trop en péril.
Dans le cas du redressement judiciaire, la société est maintenue en activité sous la responsabilité d’un administrateur judiciaire. D’un point de vue financier, elle cesse de payer les loyers et les charges non strictement nécessaires à sa survie, mais maintient les paiements dus aux salariés et aux fournisseurs, ainsi que ses activités commerciales. D’un point de vue décisionnel, les pouvoirs de direction sont transférés à l’administrateur judiciaire. Cette procédure peut aboutir à un plan de redressement judiciaire, mais le plus souvent à un plan de cession, ou, si aucune autre solution n’est possible, à la liquidation judiciaire.
Notons que ce dispositif de sauvegarde et/ou de cessation d’activité reste assez similaire dans tous les pays qui disposent de lois de protection contre les faillites (comme le Chapter 11 aux Etats-Unis). Ces lois offrent une assez grande sécurité juridique aux dirigeants et offrent un cadre clair et relativement prévisible aux parties prenantes (actionnaires, salariés, créanciers, dirigeants).
Le cas chinois
En Chine la notion de redressement judiciaire existe aussi, dans le droit (le terme est traduit par “réorganisation”). En pratique, et selon de nombreux experts consultés, c’est un dispositif qui est en réalité très peu pratiqué.
Lorsqu’une entreprise chinoise est en cessation de paiement, le tribunal n’apporte donc pas, le plus souvent, de procédure spécifique pour la protéger vis-à-vis de ses créanciers. Ces derniers vont donc saisir le tribunal de commerce et attaquer l’entreprise pour demander l’exercice de leur droit et le règlement de leurs dettes, via une procédure de revendication.
La décision du tribunal est généralement favorable aux créanciers et, dans le cas où les caisses sont vides, ces derniers peuvent demander la saisie des actifs et/ou le gel des comptes bancaires. Pendant ce temps, la société est toujours en situation dite “active” : autrement dit, elle n’est pas encore déclarée en faillite.
La faillite est prononcée par le tribunal qui peut être saisi à la demande d’un créancier. À l’instar du système français, lorsque la société est liquidée, le tribunal nomme un liquidateur judiciaire qui réalise les actifs et les répartit entre les créanciers. Toutefois, contrairement à la France, cette période de cessation de paiement et de liquidation peut être très délicate pour le dirigeant qui est livré à lui-même et peut être mis en cause personnellement selon les opérations bancaires réalisées, y compris rétrospectivement.
Restructuring d’entreprise en Chine : quelques réflexes à adopter
1/ Anticiper les difficultés
Si une entreprise se retrouve en cessation de paiement en Chine et qu’elle envisage un plan de restructuring, il est probablement déjà trop tard. Les conséquences en termes de responsabilité des dirigeants peuvent être délicates.
Il est donc essentiel d’anticiper les difficultés et de ne pas attendre la cessation de paiement pour entamer un processus de restructuration. Cela implique deux mesures prioritaires à mettre en place :
- Réduire les coûts : par tous les moyens, que ce soit via la négociation des délais de paiement ou une restructuration plus importante des dettes.
- Prioriser l’aspect social : comme expliqué plus haut, il existe en Chine une forte volonté de protéger les salariés. Si une entreprise envisage de faire faillite sans payer ses employés et les charges sociales associées, elle sera confrontée aux autorités compétentes (l’équivalent de l’URSSAF en France), et la situation de faillite de l’entreprise pourra prendre une tournure désastreuse. Dans le cas où il est impossible d’éviter cette situation, il est crucial pour le dirigeant de justifier de sa bonne foi en toute circonstance et de justifier l’événement imprévisible qui aura conduit à cette situation.
2/ Être au clair sur la gouvernance du groupe
Lorsque la situation financière et/ou légale devient délicate, il est essentiel de disposer d’une gouvernance irréprochable, en particulier pour les groupes internationaux. Dans de telles organisations, plusieurs entités peuvent dépendre les unes des autres de façon hiérarchique, et parfois intégrer des intermédiaires régionaux. Chacune de ces entités doit donc disposer d’une organisation et d’une gouvernance propre, et les relations entre les différentes parties prenantes doivent être documentées précisément. Si des mesures correctives doivent être prises, et certains actes ou décisions régularisés, le faire au plus tôt, sans attendre les difficultés. Les démarches peuvent être longues, n’attendez pas !
S’il existe des transactions financières entre une société mère et ses filiales (ce qui est généralement le cas), il est impératif de documenter toutes les transactions et les interactions qu’il y a entre elles, au même titre que s’il s’agissait d’entités indépendantes. Ceci dans le but de constituer un historique complet qui justifie, prouve et explique les liens entre les différentes sociétés.
Enfin, il est indispensable de s’assurer que chaque filiale dispose de dirigeants légitimes. Ces derniers doivent être officiellement désignés et reconnus comme les véritables dirigeants de leur société respective. S’il y a un manquement à cet égard, il est impératif de remédier à la situation (à noter que cela peut prendre du temps). Par ailleurs, il convient de vérifier si les dirigeants actuels sont formés, informés et conscients des responsabilités qui leur incombent et des actions qu’ils doivent entreprendre ou éviter.
3/ Adapter ses opérations à la situation d’insolvabilité et anticiper les financements
Il est crucial d’adapter ses opérations à la situation d’insolvabilité et d’anticiper les financements nécessaires. Si des mesures sont prises suffisamment en amont, il est possible de continuer à gérer l’entreprise, tout en l’adaptant au contexte économique. Cela peut impliquer :
- Des plans de licenciements, effectués de la manière la plus respectueuse et la plus organisée possible ;
- Des comptes bancaires de secours : le gel des actifs (incluant les comptes bancaires) peut être préjudiciable et contre-productif pour limiter les dégâts financiers. En ayant des comptes bancaires dits de secours, le dirigeant peut maintenir les opérations en cours, continuer à générer des revenus et faire fructifier les actifs encore disponibles, dans le meilleur intérêt de l’entreprise et de ses créanciers ;
- Des sociétés de gestion indépendantes : il peut être utile de disposer de sociétés de gestion indépendantes des sociétés opérationnelles. Par exemple, une société prendrait en charge le paiement des directeurs et des conseils, alors que la société opérationnelle se chargerait des opérations courantes. Avec ce fonctionnement, la société de management peut être financée par le groupe, sans dépendre des difficultés financières de la filiale. Là aussi, ces sociétés backup permettent de continuer à gérer, en prenant le relais sur certains projets, dans le but de limiter les pertes ou de gagner du temps tout en augmentant la valeur des actifs, et donc là encore dans le meilleur intérêt de l’entreprise et de ses créanciers ;
- L’intervention de sous-traitants : il peut être nécessaire de faire intervenir des sous-traitants ou freelances pour la conduite des opérations ou bien le projet de restructuration en tant que tel. Ces freelances ou sous-traitants peuvent se situer en Chine, ou à l’étranger, et peuvent être financés par la société opérationnelle ou bien la société de management, elle-même située en Chine ou à l’étranger. La situation peut donc rapidement devenir complexe. Heureusement, des solutions existent avec des plateformes internationales (telles que Deel), permettant le recrutement de sous-traitants et de salariés, en situation transfrontalière, même complexe. Ces solutions permettent là encore de poursuivre les opérations, et de préserver la valeur.
4/ Protéger ses dirigeants
L’entreprise doit veiller à protéger ses dirigeants. En Chine, lorsque la situation de l’entreprise devient délicate et que les créanciers engagent des poursuites, les dirigeants sont en première ligne. Le cadre réglementaire chinois est bien plus restrictif et incertain que dans d’autres juridictions : des mesures restrictives et préventives peuvent être prises contre lui, ce qui peut avoir des répercussions pratiques dramatiques (par exemple une interdiction de prendre l’avion, ou la restriction de certaines dépenses personnelles). Chacun prendra donc ses dispositions en fonction des risques qui se présentent.
Naturellement, il existe des assurances qui couvrent la responsabilité personnelle des dirigeants (assurances D&O). Ces assurances sont internationales et sont généralement souscrites à l’échelle du groupe. Évidemment, ces assurances doivent être souscrites (et réglées) en amont d’une situation de crise. Par ailleurs, elles comportent généralement de nombreuses clauses spécifiques qu’il est essentiel de vérifier. Les dirigeants doivent être formés au détail de ces clauses et des responsabilités qu’ils portent. Quel pourcentage de dirigeants de groupes internationaux ont lu le détail des polices d’assurance qui les couvrent ?
Restructuring d’entreprise en Chine : ce que l’on retient
Le paradoxe de la restructuration est qu’il faut la planifier et l’anticiper lorsque tout va (encore) bien, ce qui, évidemment, ne passionne personne lorsque tous les voyants sont au vert. Lorsqu’à l’inverse, les difficultés s’accumulent, que les dettes deviennent intenables, et que l’entreprise ne fait plus face à ses engagements, il est généralement un peu tard pour organiser une restructuration efficace : les meilleurs éléments quittent l’entreprise, il est difficile de financer les prestataires externes (managers de transition, avocats, conseils financiers…), et même les affaires rentables et génératrices de trésorerie positives deviennent difficiles à exécuter.
Malheureusement, la panoplie des procédures amiables et collectives, qui permettent un traitement efficace (et relativement protecteur du dirigeant) des difficultés, n’est pas disponible en Chine, et le dirigeant doit alors composer avec une forte incertitude.
On ne peut donc que conseiller aux dirigeants de groupes internationaux présents en Chine d’anticiper au maximum :
- Une gouvernance claire et sans ambiguité entre entités ;
- Des dirigeants légitimes, réguliers et formés ;
- Des solutions de financement et de management des opérations distress disponibles en cas de besoin ;
- Une assurance D&O la plus complète possible ;
- Des plans d’actions correctifs (restructuration, retournement), décidés et lancés, bien en amont des difficultés si celles-ci sont prévisibles.
On ne souhaite à aucune entreprise de se retrouver dans de telles difficultés, et, fort heureusement, les dirigeants y sont rarement confrontés. C’est pourquoi un accompagnement par des spécialistes du restructuring, formés et expérimentés (managers de transition, conseils financiers, avocats…) est indispensable, le plus tôt possible lors de l’émergence des difficultés. En particulier dans des juridictions aussi complexes que la Chine.
C’est précisément là qu’une expertise du restructuring, comme celle des équipes de Tanlience, peut faire la différence.
Note : cet article a été rédigé de la main d’un dirigeant de société occidentale en Chine, qui dispose de l’expérience d’opérations de restructuring sur place. Il nous donne ici un avis pratique sur le sujet, qui ne l’engage en aucun cas légalement. À vous, experts du sujet, qui lisez ce contenu, n’hésitez pas à nous faire part de toute remarque, omission ou erreur factuelle, qui pourrait apporter davantage de substance.
Photo de Abbe Sublett ; LYCS Architecture ; Sebastian Herrmann